jeudi 26 juin 2025

États-Unis — Pourquoi les diplômés d'aujourd'hui sont dans le pétrin

Pauvre jeune ambitieux. Pendant des décennies, le chemin vers une vie agréable était tout tracé : aller à l'université, trouver un emploi pour diplômé, puis regarder l'argent rentrer. Aujourd'hui, les jeunes qui travaillent dur semblent avoir moins d'options qu'auparavant.

Se lancer dans la technologie ? Les grandes entreprises suppriment des emplois. Et le secteur public ? Il est moins prestigieux qu'avant. Devenir ingénieur ? De nombreuses innovations, des véhicules électriques aux énergies renouvelables, voient désormais le jour en Chine. Devenir avocat ? L'intelligence artificielle va bientôt vous prendre votre emploi. Ne pensez même pas à devenir journaliste.

Dans tout l'Occident, les jeunes diplômés perdent leur position privilégiée ; dans certains cas, ils l'ont déjà perdue. Les données sur l'emploi laissent entrevoir ce changement. Matthew Martin, du cabinet de conseil Oxford Economics, s'est penché sur les Américains âgés de 22 à 27 ans titulaires d'une licence ou d'un diplôme supérieur. Pour la première fois dans l'histoire, leur taux de chômage est désormais systématiquement supérieur à la moyenne nationale. La hausse du chômage chez les jeunes diplômés est due à ceux qui recherchent un emploi pour la première fois.

Cette tendance n'est pas seulement observable aux États-Unis. Dans toute l'Union européenne, le taux de chômage des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur se rapproche du taux global pour cette tranche d'âge (voir graphique 1). La Grande-Bretagne, le Canada, le Japon... tous semblent suivre la même voie. Même les jeunes issus de l'élite, tels que les diplômés d'un MBA, sont touchés. 

En 2024, 80 % des diplômés de l'école de commerce de Stanford avaient trouvé un emploi trois mois après avoir quitté l'université, contre 91 % en 2021. 

Jusqu'à récemment, la « prime salariale universitaire », qui permet aux diplômés de gagner plus que les autres, était en hausse (voir graphique 2). Mais elle a récemment diminué, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada. À partir des données sur les jeunes Américains fournies par la succursale new-yorkaise de la Réserve fédérale, The Economist estime qu'en 2015, le salaire médian des diplômés universitaires était supérieur de 69 % à celui des diplômés du secondaire. L'année dernière, cet avantage était tombé à 50 %.

Les emplois sont également moins épanouissants. Une grande enquête suggère que l'écart de satisfaction entre les diplômés et les non-diplômés aux États-Unis, c'est-à-dire la probabilité pour les diplômés de se déclarer « très satisfaits » de leur emploi, est désormais d'environ trois points de pourcentage, contre sept points auparavant.

Est-ce une mauvaise chose que les diplômés perdent leurs privilèges ? D'un point de vue éthique, pas vraiment. Aucun groupe n'a un droit inné de surpasser la moyenne. Mais d'un point de vue pratique, cela pourrait l'être. L'histoire montre que lorsque les personnes intelligentes – ou celles qui se croient intelligentes – obtiennent des résultats inférieurs à ce qu'elles pensent mériter, ils s'en suit des événements négatifs.

Peter Turchin, scientifique à l'université du Connecticut, affirme que la « surproduction d'élites » a été la cause immédiate de toutes sortes de troubles au cours des siècles, les « contre-élites » menant la charge. Les historiens identifient « le problème de l'excès d'hommes instruits » comme ayant contribué aux révolutions européennes de 1848, par exemple. Luigi Mangione ferait partie de la contre-élite. M. Mangione, diplômé de l'université de Pennsylvanie, devrait mener une vie prospère. Au lieu de cela, il est jugé pour le meurtre présumé du directeur général d'une compagnie d'assurance maladie. Plus révélateur encore est le degré de sympathie que suscite son aliénation : M. Mangione a reçu des dons dépassant largement le million de dollars.

Pourquoi les diplômés perdent-ils leurs privilèges ? Peut-être que l'expansion considérable des universités a abaissé le niveau. Si les tours d'ivoire admettent des candidats moins talentueux, puis font un travail moins bon pour les former, les employeurs pourraient, à terme, s'attendre à moins de différences entre le diplômé moyen et le non-diplômé moyen. Une étude récente, menée par Susan Carlson de l'université d'État de Pittsburgh et ses collègues, suggère que de nombreux étudiants d'aujourd'hui sont fonctionnellement analphabètes. Un nombre inquiétant d'étudiants en anglais ont du mal à comprendre « La Maison d'Âpre-Vent » de Charles Dickens. Beaucoup sont déconcertés par la première phrase : « Michaelmas term lately over, and the Lord Chancellor sitting in Lincoln’s Inn Hall » (La session judiciaire qui commence après la Saint-Michel vient de s’ouvrir, et le lord chancelier siège dans la grande salle de Lincoln’s Inn).

Il est certain que certaines universités proposent des cours médiocres à des candidats qui n'y ont pas leur place. D'un autre côté, il y a peu de corrélation entre le nombre de diplômés et la prime salariale à long terme : les deux ont augmenté aux États-Unis dans les années 1980, par exemple. De plus, si vous discutez avec des étudiants de la plupart des universités, en particulier celles d'élite, vous vous rendrez compte qu'ils ne sont pas stupides. Ceux de Stanford sont extrêmement intelligents. Beaucoup d'étudiants d'Oxford et de Cambridge passaient autrefois leur temps à flâner et célébraient même leur « gentleman's third » (note de passage minimale, obtenue sans trop d'effort) s'ils avaient cet honneur. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Un nouvel article rédigé par Leila Bengali, de la succursale de San Francisco de la Fed, et ses collègues, est une autre raison de remettre en question l'explication selon laquelle les diplômés sont trop nombreux. Ils constatent que l'évolution de la prime salariale universitaire reflète principalement « des facteurs liés à la demande, en particulier un ralentissement du rythme des changements technologiques favorisant les travailleurs qualifiés ». En clair, les employeurs peuvent de plus en plus faire appel à des non-diplômés pour occuper des emplois qui étaient auparavant réservés aux diplômés.

Une mention très bien ? Tout le monde s'en fiche

Cela est particulièrement vrai pour les emplois qui nécessitent une utilisation rudimentaire de la technologie. Jusqu'à récemment, beaucoup de gens ne pouvaient se familiariser avec un ordinateur qu'en fréquentant l'université. Aujourd'hui, tout le monde possède un téléphone cellulaire, ce qui signifie que les non-diplômés sont eux aussi à l'aise avec la technologie. Les conséquences sont claires. Selon Indeed, un site web consacré à l'emploi, les exigences en matière de formation deviennent moins strictes dans presque tous les secteurs de l'économie. Le secteur américain des services professionnels et commerciaux emploie plus de personnes sans diplôme universitaire qu'il y a 15 ans, même si ces personnes sont moins nombreuses.

Les employeurs ont également réduit le nombre d'emplois dans les secteurs favorables aux diplômés. Dans l'ensemble de l'UE, le nombre de jeunes âgés de 15 à 24 ans employés dans la finance et l'assurance a diminué de 16 % entre 2009 et 2024. Les États-Unis ne comptent que légèrement plus d'emplois dans les « services juridiques » qu'en 2006. Jusqu'à récemment, la voie évidente pour un étudiant britannique souhaitant gagner de l'argent était un programme interne pour diplômés dans une banque. Depuis 2016, cependant, le nombre de jeunes de 20 à 30 ans dans le domaine du droit et de la finance a diminué de 10 %. À la troisième saison de « Industry », une série télévisée sur les jeunes loups diplômés d'une banque londonienne, une grande partie du distribution originale a été écartée (ou est décédée).

Il est tentant de blâmer l'IA pour cette diminution des perspective d'emploi. La technologie semble capable d'automatiser les tâches « intellectuelles » de base, telles que le classement ou les tâches parajuridiques. Pourtant, les tendances décrites dans cet article ont commencé avant ChatGPT. De nombreux facteurs contingents sont responsables. De nombreux secteurs qui employaient traditionnellement des diplômés ont connu des difficultés ces derniers temps. Des années d'activité modérée dans le domaine des fusions et acquisitions ont réduit la demande d'avocats. Les banques d'investissement sont moins dynamiques qu'avant la crise financière mondiale de 2007-2009.

Les études universitaires en valent-elles donc la peine ? Les Américains semblent avoir décidé que non. Selon les données de l'OCDE, entre 2013 et 2022, le nombre d'étudiants inscrits en licence a baissé de 5 %. Pourtant, dans la plupart des pays riches, où l'enseignement supérieur est moins cher car l'État le subventionne davantage, les jeunes continuent d'affluer vers les universités. Hors États-Unis, les inscriptions dans l'OCDE sont passées de 28 millions à 31 millions au cours de la décennie précédant 2022. En France, le nombre d'étudiants a augmenté de 36 % ; en Irlande, de 45 %. Les gouvernements subventionnent des diplômes inutiles, encourageant les jeunes à perdre leur temps à étudier.

Les étudiants ne choisissent peut-être pas non plus les bonnes matières. En dehors des États-Unis, la part des arts, des sciences humaines et des sciences sociales augmente en général. Il en va de même, de manière inexplicable, pour les inscriptions aux cours de journalisme. Si ces tendances reflètent les idées des jeunes sur l'avenir du travail, ils sont vraiment en difficulté. 

Source : The Economist

Voir aussi

Pourquoi l'IA n'a pas remplacé votre emploi (pour l'instant)

Quel avenir pour les traducteurs humains ?
 
L'apogée du MBA ?

La langue des thèses universitaires devient de plus en plus impénétrable (surtout dans les sciences humaines et sociales)

Université — Votre maîtrise est-elle inutile ?

Ces étudiants des universités d'élite qui ne savent plus lire des livres..

La Chute de la maison Sciences Po

Les étudiants chinois désirent moins étudier aux États-Unis qu'auparavant 

Aux États-Unis, les étudiants désertent les universités

Immigration — plus difficile de trouver un boulot pendant l'été pour les jeunes

Inde — Pour la première fois une formation complète des médecins en hindi et non plus en anglais

Mark Carney accusé de plagiat pour sa thèse de doctorat de 1995 à Oxford

Enseigner la médecine en anglais au Québec ou comment payer deux fois plus cher pour un médecin

Le système éducatif de l'Inde est-il à l'origine des problèmes du sous-continent ?

Toronto — La nouvelle faculté de médecine réservera 75 % de ses places aux autochtones, aux Noirs et aux 2SLGBTQ+

États-Unis — Prime au diplôme universitaire décroît alors que le président Biden renfloue les étudiants

Les gouvernements surestiment-ils le rendement économique des diplômes universitaires ? 

Universités américaines et la dette étudiante

États-Unis — Quels diplômes universitaires rapportent le plus ?

Peter Thiel et la bulle universitaire : un test de QI extrêmement coûteux

L’ouverture des frontières, une erreur ? (impact sur les diplômés et les salaires)

Pourquoi l’université coûte tellement cher aux États-Unis (l’impact des bourses et des prêts gouvernementaux)

États-Unis — Diplômés et surendettés

mercredi 25 juin 2025

Inde et Chine — Examens d'entrée y sont notoirement difficiles, mais ils tendent à favoriser le bachotage



Faire la queue est la partie la plus facile


Mégots de cigarettes, verres de lunettes et pneus de voiture. Lesquels de ces articles contiennent du plastique ? Papaye, ananas, goyave. Combien de ces fruits ont été apportés en Inde par les Portugais ? Le mois dernier, environ un demi-million d'Indiens se sont assis pour répondre à ces questions, qui étaient éclectiques, mais dont l'enjeu était important. Elles faisaient partie de l'examen d'entrée dans la fonction publique indienne.

Pour ceux qui ont réussi en répondant correctement à des questions comme celles ci-dessus (les trois objets contiennent du plastique et les trois fruits ont été importés par les Portugais), il ne s'agit que de la première étape, la plus facile, d'un processus long et ardu. Neuf autres épreuves, d'une durée de 27 heures, se dérouleront à partir du mois d'août. Elles porteront sur un large éventail de sujets et sur des questions encore plus obscures. L'année dernière, les candidats ont été invités à rédiger 1 000 mots sur des affirmations telles que : « Les empires du futur seront les empires de l'esprit ». Ceux qui ont réussi cet exercice sont ensuite invités à un entretien final.

Si le processus de sélection est si éprouvant en Inde, c'est parce qu'un poste dans la fonction publique est très convoité. Même si le secteur privé indien s'est développé, les emplois publics restent un gage de prospérité, de prestige et de meilleures perspectives de mariage. L'année dernière, 1,1 million de personnes ont posé leur candidature pour intégrer l'échelon supérieur de la fonction publique, mais environ 1 000 d'entre elles (0,2 % de celles qui se sont présentées au premier examen) se sont vu offrir une place.
Les examens indiens sont donc encore plus compétitifs que ceux de la Chine, où, dans un contexte de ralentissement économique, un nombre croissant de personnes se tournent vers le secteur public. L'année dernière, un nombre record de 3,4 millions de Chinois se sont inscrits et ont passé la sélection initiale pour l'examen national de la fonction publique, soit bien plus du double du nombre de Chinois ayant passé l'examen en 2014. Un peu plus de 39 700 d'entre eux (1,5 % des candidats) ont obtenu un emploi.

Dans les deux pays, les examens sont considérés comme le moyen le plus équitable de filtrer les candidats. Mais malgré les intentions méritocratiques des examens, les critiques dans les deux pays estiment qu'ils filtrent les candidats selon les mauvais critères. En sélectionnant l'apprentissage par cœur et la capacité à passer des tests, ils négligent d'évaluer les compétences réelles en matière de politique publique, telles que la gestion, le travail d'équipe et la communication. En Chine, le processus comporte de plus en plus de questions visant à tester la familiarité avec la pensée de Xi Jinping, l'idéologie du dirigeant.

Tout cela contribue à la performance médiocre des deux bureaucraties. Selon une mesure de l'efficacité gouvernementale calculée par la Banque mondiale, la Chine et l'Inde se classent respectivement aux 74e et 68e rangs mondiaux. Les examens ne contribuent pas non plus à éliminer la corruption, un autre fléau commun. Le 9 juin, un jeune fonctionnaire indien de l'État d'Odisha, dans l'est du pays, a été accusé d'avoir accepté un pot-de-vin de 1 million de roupies (11 683 dollars) de la part d'un homme d'affaires, ce qui constitue le dernier exemple en date de corruption bureaucratique très médiatisée. (Il a été suspendu, mais nie avoir commis des actes répréhensibles).

Dans les deux pays, des efforts sont déployés pour recruter des personnes par d'autres moyens. La Chine expérimente le recrutement de certains candidats pour des contrats à durée déterminée en fonction de leur expérience plutôt que de leurs résultats aux examens. De même, l'Inde a mis en place un programme de « recrutement latéral » afin de permettre à des spécialistes du secteur privé de rejoindre la fonction publique. Mais ces initiatives en sont encore à leurs balbutiements. Les examens restent le pilier du recrutement dans le secteur public.

Si les mérites de ce processus de sélection sont discutables, ses coûts, tant humains qu'économiques, sont plus visibles. La réussite à ces deux examens exige un travail acharné. Beaucoup de candidats ne travaillent pas pendant les années qui précèdent l'examen ; ceux qui ont un emploi finissent par étudier tôt le matin ou tard le soir. Des milliers de personnes font appel à des centres de préparation ; les meilleures écoles proposent une formation à temps plein et un hébergement.

Shikha Singh a quitté une petite ville du centre de l'Inde pour s'installer à Delhi afin de se préparer à l'examen, entourée d'autres candidats. Avant sa quatrième tentative récente, Mme Singh a travaillé dix heures par jour, mais elle craint que cela ne soit pas suffisant pour couvrir la grande variété de sujets. Dans le sud-est de la Chine, une future fonctionnaire (qui a préféré rester anonyme) de la province du Jiangxi (Kiang-si) a suivi un rythme similaire depuis qu'elle a quitté son emploi en 2023 et est retournée vivre chez ses parents. Le cycle des candidatures et des refus a un effet sur le moral : l'échec à l'examen peut parfois pousser les candidats au suicide dans les deux pays. Mme Singh a le sentiment d'avoir perdu son statut social à cause de ses échecs. Son homologue chinoise est également accablée par l'anxiété. « Seules quelques personnes réussissent l'examen », dit-elle. « Je me demande ce que font ceux qui échouent. »

C'est une bonne question. Les années de jeunesse passées à étudier, au lieu de travailler, constituent une perte économique. Les examens obligent les diplômés universitaires à retarder leur entrée sur le marché du travail, ce qui réduit leur consommation à long terme. Et les matières étudiées fébrilement tard le soir ne sont pas nécessairement utiles une fois les examens terminés. Connaître l'histoire des fruits ou les détails de la pensée de Xi Jinping peut aider les candidats à obtenir un emploi dans la fonction publique et tous les avantages qui l'accompagnent, mais peut-être pas une place dans le secteur privé.

Source : The Economist

Voir aussi
 
 
 
 
 
 
 

Poutine a signé une loi sur la protection de la langue russe dans l'espace public

Le président russe Vladimir Poutine a signé une loi visant à protéger et à promouvoir la langue russe dans l'espace public. Le document correspondant a été publié mardi sur le site officiel des actes juridiques.

La loi modifie plusieurs actes normatifs, notamment les lois « Sur la protection des droits des consommateurs » et le Code de l'urbanisme, et vise à limiter l'utilisation de mots et de noms étrangers dans les enseignes, les publicités et les panneaux indicateurs, ainsi que dans les noms des complexes résidentiels et des micro-quartiers.

Selon la loi, toutes les informations destinées aux consommateurs doivent être fournies en russe. L'utilisation de mots étrangers tels que « sale » et « shop » sera désormais limitée. La traduction dans d'autres langues est autorisée, à condition que le contenu soit identique et que la présentation soit équivalente à la version russe.

Les nouvelles normes du Code de l'urbanisme interdisent de donner aux complexes résidentiels et aux micro-quartiers des noms à consonance étrangère. Tous les noms doivent être écrits exclusivement en cyrillique.

Le document consacre également l'obligation d'utiliser la norme littéraire de la langue russe dans les médias, ce qui suppose l'absence d'erreurs linguistiques et lexicales.


Selon le document, les informations doivent être présentées en russe. Les langues officielles des républiques ou d'autres langues des peuples de Russie peuvent également être utilisées, mais les informations dans ces langues doivent être identiques à celles en russe.

À la discrétion du fabricant ou du vendeur, ces informations peuvent être rédigées en langues étrangères, à condition d'être également affichées en russe. Il est précisé que les informations dans les deux langues doivent être identiques en termes de contenu, équivalentes en termes de placement et avoir les mêmes couleurs, types et tailles de police. Toutefois, ces dispositions ne s'appliquent pas aux noms de marque et aux marques commerciales.

La signature de la loi a suscité un débat au sein du Conseil de la Fédération. La sénatrice Lioudmila Naroussova a exprimé son indignation face à l'absence de responsabilité en cas de violation des nouvelles normes lors d'une discussion au sein du comité constitutionnel. Le président du comité, Andreï Klichass, a proposé à la sénatrice d'élaborer des propositions concernant les mesures administratives.

Les modifications entreront en vigueur le 1er mars 2026.

Le 5 juin, Poutine a tenu un conseil sur le soutien à la langue russe, au cours duquel il a notamment appelé à la promouvoir plus activement sur les terres historiques de la Fédération de Russie et à se débarrasser des emprunts vulgaires. Le président russe a également souligné la nécessité d'utiliser l'alphabet cyrillique dans l'espace public, et non « un mélange de caractères latins et d'autres symboles ».

mardi 24 juin 2025

Peur, précaution, confort... Comment nous avons perdu le goût du risque

La peur est aujourd'hui partout. Peur climatique, peur sécuritaire, peur sanitaire... Les lendemains qui chantent semblent avoir laissé place aux scénarios catastrophes. La révolution a cédé le pas à l'Apocalypse. Et pourtant, nous vivons dans des sociétés occidentales où nous n'avons jamais été aussi riches. Nous n'avons jamais vécu aussi longtemps. Mais nous semblons avoir abandonné toute espérance tout se passe comme si nous étions tétanisés par l'avenir.

C'est justement ce paradoxe de ces sociétés de plus en plus hostiles aux risques qui cherchent et qui tendent vers l'utopie du risque zéro qu'Eugénie Bastié interroge dans ce nouveau numéro du Club Le Figaro Idée. Pour ce faire, elle reçoit Pascal Bruckner et Catherine van Velen.

00:00 – La peur : un phénomène politique moderne  
04:37 – Le principe de précaution : paralysie ou prudence ?  
20:59 – L’éducation par la peur : des enfants déjà vieux  
36:16 – Tragique, démocratie... Ce que nous avons perdu
 
Livres évoqués
 


 
 
   
 

lundi 23 juin 2025

dimanche 22 juin 2025

Syrie — Au moins 20 morts dans un attentat contre une église grecque-orthodoxe

Un attentat suicide a visé l’église grecque-orthodoxe Saint-Élie (Mar Elias) dans le quartier de Dweila, à Damas, pendant la messe du dimanche soir. 

Un assaillant, identifié par le ministère syrien de l’Intérieur comme membre de l’État islamique (EI), est entré dans l’église, a ouvert le feu sur les fidèles, puis a déclenché une ceinture explosive.

Certaines sources mentionnent un possible second assaillant ayant pris la fuite, mais cela n’est pas confirmé officiellement.

L’attaque a eu lieu lors d’une liturgie, avec environ 400 personnes présentes, selon un prêtre sur place.

Au moins 20 à 22 morts et 52 à 63 blessés, selon le ministère syrien de la Santé, l’Observatoire syrien des droits de l’homme et des médias comme Reuters, The Guardian et AP.

Des rapports initiaux mentionnaient 9 à 15 morts, mais le bilan a été revu à la hausse.


Des enfants figureraient parmi les victimes, selon certains médias locaux.

L’église a subi d’importants dégâts : autel endommagé, bancs détruits, sol couvert de sang et débris.

Il s'agit du premier attentat suicide à Damas depuis la chute de Bachar el-Assad en décembre 2024, renversé par une insurrection menée par des rebelles islamistes.

L’EI a revendiqué l’attaque via ses canaux médiatiques, exploitant le vide sécuritaire post-Assad pour cibler les minorités chrétiennes.

Le gouvernement intérimaire syrien, dirigé par Ahmed al-Charâ (issu du groupe Hayat Tahrir al-Sham soit l'Organisation pour la Libération du Levant), promet de protéger les minorités. Depuis la prise de pouvoir par HTS, des rapports font état d’actes de violence ciblée contre les Alaouites, particulièrement dans les régions côtières comme Lattaquié et Tartous, bastions alaouites sous l’ancien régime. Ces actes incluent des assassinats, des enlèvements et des pillages, souvent attribués à des factions rebelles ou à des règlements de compte locaux,

Le Patriarcat grec-orthodoxe d’Antioche a condamné l’attaque, qualifiant les victimes de « martyrs » et exigeant des autorités syriennes qu’elles protègent les lieux de culte.

La France, la Grèce, les Émirats arabes unis, la Turquie et l’ONU (via l’envoyé spécial Geir Pedersen) ont dénoncé cet acte terroriste, appelant à la justice et à la protection des civils.

Le ministre syrien de l’Intérieur, Anas Khattab, a qualifié l’attaque de « crime répréhensible » et annoncé une enquête.

Cet attentat souligne les tensions sectaires persistantes en Syrie, malgré les déclarations du gouvernement dit intérimaire pour stabiliser le pays.

Les chrétiens, minorité visée, sont particulièrement vulnérables face à la résurgence de l’EI, qui a déjà ciblé des sites religieux par le passé, exemples:

  • 2013 - attentats contre le village chrétien de Maaloula (20 morts);2015 Enlèvements de 200 à 300 chrétiens assyriens dans la vallée du Khabour;
  • 2015 Destruction de l’église de l’Immaculée Conception, Qaryatayn (160 chrétiens enlevés, plusieurs décapitations);
  • 2016 - Attentat-suicide à Qamishli, quartier chrétien 9au moins 44 morts);
  • 2016 près du sanctuaire chiite Sayyida Zeinab.

Plus de détails dans L'Orient-Le Jour de Beyrouth.

Réaction de l'Œuvre d'Orient

L’Œuvre d’Orient est horrifiée et condamne l'attentat perpétré dans l'église grecque orthodoxe Saint-Elie, à Damas, au cours de la messe du dimanche 22 juin. Cette attaque, dans un lieu de foi et de paix, a fait selon un bilan encore provisoire 25 morts et 63 blessés. L'Œuvre d'Orient présente ses condoléances aux familles des victimes et à toute la communauté chrétienne de Syrie. 

Assurer la sécurité de toutes les communautés religieuses est un élément indispensable pour la reconstruction du pays. Les autorités syriennes et internationales doivent prendre immédiatement les mesures nécessaires. Une enquête doit être diligentée.

Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de L'Œuvre d'Orient, a déclaré : « Cet attentat est dramatique, il nous rappelle l’attentat de la cathédrale Sayedat al-Najat de Bagdad, il y a 15 ans. C’est un événement effroyable qui fragilise complètement la communauté chrétienne en Syrie, et plus largement au Moyen-Orient. Cela risque de se traduire par un exode des chrétiens. Nous déplorons l’absence de mesures de sécurité autour des lieux de culte, en particulier des églises, que nous savons sous menace constante. Nous ne voulons pas simplement des paroles de la part des autorités syriennes, il convient absolument de mettre en œuvre des mesures de sécurité auxquelles la communauté chrétienne a le droit. » 

Vidéo du kamikaze (avec sac à dos) qui s'est fait exploser 

La rue Trutch à Vancouver devient officiellement la rue Šxʷməθkʷəy̓əmsəm

La décision de Vancouver de renommer la rue Trutch en rue Šxʷməθkʷəy̓əmsəm s’inscrit dans un effort de promotion de l’histoire autochtone (indienne) de la région. Le nom original, Trutch, faisait référence à Sir Joseph Trutch, un ancien lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique connu pour ses politiques coloniales dont la réduction des terres occupées par les « Premières Nations » et des déclarations désobligeantes envers ces peuples autochtones. En changeant ce nom, la ville cherche à retirer les hommages à des figures associées à l’histoire britannique de la province et à honorer les cultures et les langues des Premières Nations locales, en l’occurrence la nation Musqueam, dont le territoire traditionnel englobe Vancouver.

Le nouveau nom, Šxʷməθkʷəy̓əmsəm, provient de la langue hən̓q̓əmin̓əm̓ anciennement parlée par les Musqueam. Ce changement reflète un mouvement croissant au Canada anglais. Cette initiative a suscité des discussions, certains y voyant un pas vers la justice sociale, tandis que d’autres s’interrogent sur l’effacement de l’histoire, mais elle reste un exemple concret de décolonisation des espaces publics.

Le changement de nom de la rue Trutch à Vancouver, désormais désignée Šxʷməθkʷəy̓əmsəm, suscite une controverse dont la portée dépasse le simple enjeu toponymique. Les critiques s’articulent principalement autour de deux axes : la perception d’un effacement historique et les difficultés pratiques liées à l’adoption d’un nom autochtone complexe pour les non-locuteurs.

1. L’effacement perçu du passé et la mémoire controversée

Certains résidents et observateurs estiment que l’effacement du nom de Joseph Trutch – figure historique du colonialisme britannique en Colombie-Britannique – équivaut à une forme de réécriture ou de négation du passé. Même si ses politiques envers les Premières Nations furent notoirement discriminatoires et rétrogrades, ces critiques soutiennent qu’un tel acte symbolique élimine une occasion d’enseigner et de confronter ces aspects problématiques de l’histoire locale.

Selon eux, maintenir le nom Trutch n’implique pas une glorification, mais plutôt un devoir de mémoire critique. Ce point de vue s’inspire d’approches muséales ou patrimoniales qui valorisent le contexte et l’explication plutôt que l’effacement. En renommant des lieux, notamment sans contrepartie éducative claire (panneaux explicatifs, programmes scolaires, etc.), la ville court le risque de substituer un oubli confortable à un inconfort pédagogique nécessaire.

2. Une décision perçue comme idéologique et clivante

Au-delà de la mémoire historique, certains dénoncent une instrumentalisation idéologique de la toponymie, accusant les autorités municipales d’imposer des décisions symboliques sans véritable consultation démocratique. Ce point de vue exprime une défiance envers ce qui est perçu comme un activisme institutionnalisé, qui imposerait des valeurs progressistes à une population diverse, sans nécessairement obtenir son assentiment.

La crainte sous-jacente est celle d’une polarisation communautaire : ces changements, au lieu de favoriser la réconciliation, risqueraient d’accentuer les lignes de fracture entre groupes culturels, en opposant un récit autochtone restauré à une mémoire collective plus large, jugée illégitime ou embarrassante.

3. Obstacles linguistiques et appropriation pratique

Par ailleurs, la complexité du nouveau nom, Šxʷməθkʷəy̓əmsəm, issu de la langue hən̓q̓əmin̓əm̓ autrefois parlée par les Musqueams, soulève des objections d’ordre pratique et linguistique. De nombreux citoyens rapportent des difficultés à le prononcer, l’écrire ou même s’en souvenir. Pour une population urbaine plurilingue qui n’a aucun contact préalable avec cette langue, l’usage quotidien devient ardu, et le nom risque de demeurer abstrait ou inaccessible, voire ignoré dans les usages courants.

Toutefois, il est également important de reconnaître que cette langue compte aujourd’hui moins de 10 locuteurs pleinement compétents, aucun locuteur natif, et environ 500 semi-locuteurs, malgré les efforts de revitalisation.

Dans ce contexte, certains résidents s’interrogent : dans quelle mesure un nom de rue peut-il devenir un outil de reconnaissance partagé s’il est pratiquement inemployable par la majorité des citoyens, y compris ceux des communautés autochtones locales ? Pour beaucoup, cette décision peut donner l’impression d’un geste hautement symbolique mais faiblement intégré dans la vie réelle, risquant de créer une fracture entre l’intention politique et la réception populaire.

4. Un déficit de participation citoyenne

Enfin, plusieurs critiques pointent un manque de transparence et de concertation dans le processus de décision. Si la démarche entend honorer la langue et la culture des Premières Nations, elle semble avoir été perçue par certains comme un processus unilatéral, vertical, excluant les résidents concernés. Ce déficit démocratique alimente un sentiment de dépossession symbolique : les citoyens ont vu leur espace urbain renommé sans avoir été pleinement consultés, voire entendus.

À Montréal aussi, un nom imprononçable et une appropriation partiale du passé autochtone

À Montréal, en 2019, la rue Amherst (nommée d’après Jeffery Amherst, général britannique associé à des massacres envers les Autochtones) a été renommée Atateken, un mot issu de la langue des Agniers (Mohawks), pourtant alliés des Anglais, signifiant « fraternité », « groupe de personnes vivant ensemble dans l’harmonie ». Nom intéressant pour un peuple aussi guerrier (voir la liste des nations détruites ou dispersées par les Agniers ci-dessous).

Or, une proposition circulait pour remplacer le nom d'Amherst (ou celui de Wolfe) par celui de « Pontiac », en hommage au grand chef autochtone Odawa Pontiac, qui mena une coalition de nations autochtones contre la domination britannique après la conquête, notamment en riposte directe aux actions de Wolfe et Amherst. 

Pour de nombreux observateurs, renommer la rue Wolfe ou Amherst en Pontiac aurait offert : une symétrie historique puissante (l’oppresseur remplacé par le résistant)  et un nom facile à prononcer et à mémoriser pour l’ensemble des Montréalais, y compris les nouveaux arrivants.

Depuis juin 2017, le sommet de la colline d’Outremont (Mont Royal) se voit imposer un nom mohawk : Tiohtià:ke Otsira’kéhne, Rappelons que malgré les prétentions de l'administration de la ville de Montréal, Montréal n'est pas en territoire traditionnel agnier (mohawk). 

Au moment de la fondation de Ville-Marie (1642), les Mohawks habitaient surtout la vallée de la Mohawk, dans l’actuel État de New York. Ils n’étaient pas établis à Montréal, mais y faisaient des incursions — souvent guerrières... Ce sont en fait les Français qui, après les guerres iroquoises, ont permis aux Mohawks catholiques convertis (les Agniers) de s’établir à proximité de Montréal, notamment à Kahnawake, au sud de Montréal. En 1760, pendant la guerre de la Conquête (sept Ans), les Mohawks catholiques de Kahnawake ont trahi les Français, alors même qu’ils avaient été protégés et installés par eux un siècle plus tôt. Ces Agniers ont choisi de ne pas soutenir Montréal lors de l’attaque britannique. Ils ont permis aux Britanniques d’approcher sans opposition, en s’abstenant de défendre et d'avertir leurs anciens alliés. 

Agnier est le nom (transcrit par une oreille française) que les Mohawks se donnent dans leur propre langue, Kanien'kehá:ka, qui signifie « peuple du silex » ou « peuple de la pierre à feu ». Mohawk est le nom que les Anglais leur donnent, il viendrait probablement d'un mot algonquin, mohowawog, signifiant « mangeurs d'hommes », un nom donné par leurs ennemis pour les décrire comme des guerriers redoutables.

Voici la liste des principales nations disparues ou largement détruites lors des guerres avec les Agniers/Mohawks (et plus largement les Iroquois) :

  • Iroquoiens du Saint-Laurent
  • Hurons-Wendats (réduits de 60 % à 90% puis dispersés)
  • Neutres (Attawandaron)
  • Ériés
  • Petun (Tionnontatés)
  • Susquehannocks (Andastes)
  • Mahicans (en grande partie absorbés)
  • Algonquins de l'Est (en recul ou déplacement)
  • Illinois (en partie détruits ou repoussés)
  • Shawnees (forcés à migrer à plusieurs reprises)
  • Tionnontouans indépendants (groupes iroquoiens non affiliés)
  • Réfugiés mixtes autour des missions françaises (dispersés ou intégrés)

Voir aussi 

Radio-Canada renvoie dos-à-dos histoire factuelle « blanche » et tradition orale indienne

Québec laïc — Le pont Samuel-de-Champlain bénit par un aîné amérindien

Histoire — Montréal n’est pas un territoire agnier (« mohawk ») occupé

Les habitants de Montréal à l’arrivée des Français parlaient-ils agnier (mohawk) ?

Repentance permanente — Les manipulateurs de l’histoire québécoise sont parmi nous 

Le passé de Ville-Marie n’est ni honteux ni indigne

Dix millions d’euros pour publier un «Coran européen», rien pour la Bible historiale, la première en français et la plus lue au Moyen Âge

La traduction de Guyart des Moulins, à la fin du XIIIe siècle, « propose aux laïcs une lecture continue et accessible du récit biblique, pensée non pour le chœur de l’église mais pour la maison », souligne Xavier-Laurent Salvador. Xavier-Laurent Salvador est agrégé de lettres modernes et maître de conférences en langue et littérature médiévales. Il publie Les Secrets de la Bible au Moyen Âge (Cerf, 2025).

Mêlant exégèse, légendes populaires et traditions juives à l’aide d’un style vivant et accessible, le linguiste retrace, dans « Les Secrets de la Bible au Moyen Âge », la genèse d’une œuvre fascinante qui fit entrer les Écritures dans les foyers – et la langue vulgaire dans l’histoire du sacré.

— Qu’est-ce que la Bible historiale ? En quoi marque-t-elle un tournant dans la diffusion des Écritures ?

XAVIER-LAURENT SALVADOR. — La Bible historiale, rédigée à la fin du XIIIe siècle par le prêtre Guyart des Moulins, est la première grande Bible en prose en langue française. Elle s’appuie sur la Vulgate latine et sur l’historia scholastica de Pierre le Mangeur, mais elle ne s’y limite pas : elle intègre aussi, souvent de manière implicite, des traditions exégétiques juives, notamment dans le traitement narratif des grandes figures bibliques.

>Elle marque un tournant décisif, car elle propose aux laïcs une lecture continue et accessible du récit biblique, pensée non pour le chœur de l’église mais pour la maison, pour les familles. C’est une Bible vivante, qui circule massivement dans toute l’Europe entre 1297 et 1550. On la lit chez les princes, les marchands, les clercs de collège, mais aussi dans les monastères. C’est la Bible des foyers, la première Bible à raconter les Écritures dans une langue familière, imagée, avec des gloses explicatives qui prennent souvent la forme d’anecdotes ou d’éclairages culturels. Elle anticipe ce que nous appellerions aujourd’hui une « lecture accompagnée » du texte.

— Quelles sont les histoires rapportées par Guyart des Moulins dans sa Bible en français ? Comment conçoit-il l’histoire ?

— La Bible historiale de Guyart des Moulins couvre l’ensemble du récit biblique, de la Création jusqu’à la venue du Christ. Mais elle ne se contente pas de traduire : elle organise, commente, explique, en intéla grant d’innombrables développements issus de la tradition exégétique, de la culture savante et de la mémoire populaire. Ce qui fait la singularité de cette Bible, c’est qu’elle ne raconte pas seulement les Écritures, elle raconte l’histoire du monde à la lumière de la Révélation. Car le christianisme est une religion de l’incarnation : Dieu s’est fait homme, dans le temps, à une date, dans une société donnée. Ce n’est pas un événement abstrait : c’est un acte qui inscrit la foi dans l’histoire. Cela signifie que toute l’histoire humaine devient, potentiellement, le lieu où Dieu se révèle. Le récit biblique n’est donc pas un simple enchaînement d’événements : c’est une fresque théologique du temps, où les faits du passé prennent sens à la lumière du salut.

C’est pourquoi non seulement Guyart suit la trame des textes canoniques, mais il comble aussi leurs lacunes, complète leurs silences, relie les épisodes par des gloses narratives et par des éléments venus d’autres traditions, en particulier juives et gréco-latines. Il s’inscrit dans la grande tradition médiévale de la catena aurea, cette «chaîne d’or» de sens à plusieurs niveaux (littéral, allégorique, moral, anagogique), où chaque événement est aussi un signe.
Ainsi, là où la Bible est laconique, Guyart développe. Il convoque Flavius Josèphe pour éclairer les silences historiques du texte, et Pline l’ancien pour expliquer les phénomènes naturels. Par exemple, lorsqu’il s’interroge sur le nom de la mer Rouge, il reprend une explication de Pline selon laquelle des dépôts minéraux ou des algues pourraient teinter l’eau d’une nuance rougeâtre - une manière très concrète, rationnelle, encyclopédique de justifier le nom, qui renforce au lieu de diminuer la crédibilité du récit biblique.

— « L’exégèse médiévale repose sur une interprétation plu ri dimensionnelle du texte biblique », écrivez-vous. Quels sont ces différents niveaux d’interprétation ?

— L’exégèse médiévale repose en effet sur une lecture à plusieurs niveaux du texte biblique, traditionnellement au nombre de quatre : le sens littéral (l’événement tel qu’il est raconté), le sens allégorique (ce que l’événement annonce sur le plan spirituel, notamment en rapport avec le Christ), le sens moral (ce que le fidèle peut en tirer pour sa propre conduite) et le sens anagogique (ce que cela révèle sur les réalités dernières, comme le Salut, le Ciel, la Jérusalem céleste).

Cette lecture quadripartite est omniprésente dans la Bible historiale, mais ce qui rend si originale, c’est qu’elle ne reste pas confinée à la théologie : elle déborde sur les domaines du savoir, de la culture, de la langue. Elle constitue en réalité la première encyclopédie en langue française, un vaste répertoire de récits, de coutumes, de proverbes, d’explications scientifiques, astrologiques, zoologiques, historiques… à la portée du lecteur médiéval. On y apprend ce qu’est le lévite, comment fonctionnait la monnaie romaine, ce que sont les «jours égyptiens» (jours néfastes condamnés par l’église mais encore redoutés par le peuple), ou encore pourquoi le Nil déborde selon l’opinion d’Aristote ou de Pline. Autrement dit, ce texte n’est pas seulement un objet théologique : c’est aussi un miroir de la civilisation médiévale, un témoignage d’autant plus précieux qu’il s’inscrit dans une langue vivante.

Lorsque Joseph, devenu intendant de Pharaon, accuse ses frères d’espionnage, il s’écrie, en ancien français : « Voirement est-ce voire que vous estes espies ! » Ce n’est évidemment pas ainsi que parlait un Égyptien du deuxième millénaire avant notre ère, mais c’est ainsi qu’un Français du XIIIe siècle pouvait s’exclamer. À travers cette vivacité d’expression, c’est le quotidien médiéval qui affleure – ses façons de parler, de jurer, de s’indigner. Enfin, et c’est un point crucial : la Bible historiale témoigne d’un moment décisif dans l’histoire de la langue française. Pour la première fois, le français rivalise avec le latin dans le registre théologique le plus élevé. C’est un moment de bascule civilisationnelle : le français cesse d’être uniquement la langue d’amour courtois, de chronique ou de poésie, pour devenir langue du commentaire biblique, de l’exégèse, de la pensée.

En cela, on peut dire que le français est devenu pleinement français le jour où il a été capable de dire la Bible. Et cette langue, justement, n’est pas figée. Elle est souple, expressive, inventive. Elle emprunte au peuple, à l’oralité, à l’école et au cloître. Elle fait entendre la voix d’un monde. C’est pourquoi la Bible historiale [reproduction disponible ici] est aussi un document linguistique précieux, qui permet de suivre l’évolution de la syntaxe, du lexique, de la phraséologie, mais aussi des mentalités.

— Pourquoi le christianisme s’accommode-t-il sans peine de la traduction ? Quelles résistances ce genre d’entreprises a-t-il rencontrées dans l’église ?

— Le christianisme est, structurellement, une religion du Verbe incarné - et donc une religion du Verbe traduit. Dès les origines, la Parole circule dans les langues des hommes : du grec au latin, du syriaque au slavon, du copte à l’arménien. Traduire n’est pas trahir, c’est rendre Dieu audible ici et maintenant. L’évangélisation passe par cette dynamique du passage d’une langue à une autre, d’un monde à un autre. Henri Meschonnic l’a formulé avec justesse : « L’Europe est née dans la traduction. »

— La diffusion de la Bible en langue vulgaire, à la fin du Moyen Âge, a-t-elle attenté à la légitimité du clergé ? Comment les hérésies se sont-elles nourries de ce phénomène ?
— La Bible historiale n’est pas née contre l’église : elle est née dans l’église, pour enseigner la foi aux fidèles dans leur langue. Elle n’a pas nourri les hérésies : elle a plutôt limité leur essor en offrant une lecture encadrée du texte sacré. Mais, à la fin du Moyen Âge, le fait que les laïcs puissent lire la Bible a conduit certains groupes à revendiquer un droit à l’interprétation autonome, et donc à contester le monopole du clergé. Ce basculement est en partie lié à la montée de l’imprimé.

À l’heure où des projets à 10 millions d’euros sont financés pour publier un soi-disant «Coran européen», on n’a jamais financé l’édition critique complète de la Bible historiale – pourtant la plus lue, la plus copiée, la plus commentée des bibles médiévales en Europe pendant près de trois siècles. C’est un scandale intellectuel et un aveu politique : on préfère aujourd’hui promouvoir une lecture idéologique de la diversité plutôt que reconnaître les fondements historiques de notre propre culture. 


Source : Le Figaro

La Bible historiale
Tirage vert impérial,
numéroté de 1 à 1850,
290 €
Très grand format (30 x 50 cm)
Paru chez les Saints Pères

 

vendredi 20 juin 2025

France — Vidéo explique que vos parents (blancs, on s'entend) sont racistes

Les élèves de seconde peuvent remplacer leur stage professionnel obligatoire par une participation au SNU (Service National Universel).

Selon Parents Vigilants, voici ce qui a été diffusé il y a quelques jours aux lycéens réalisant leur SNU au centre de Ménétreux-le-Pitois (Côte d’Or). 

Révisionnisme — Pour Mélenchon, Saladin a permis aux Occidentaux de construire les cathédrales

En conférence hier sur la situation géopolitique au Proche-Orient, Jean-Luc Mélenchon a déclaré que « le roi Dagobert qui mettait sa culotte à l’envers, bon, les [peuples musulmans] ils la mettaient à l’endroit et ils inventaient les maths. Donc disons qu’il y avait une différence de niveau » avant d’ajouter que « s’il n’y avait pas eu Saladin, vous ne sauriez pas bâtir des cathédrales parce que c’est lui qui vous a appris comment on faisait ».

Dagobert est un roi mérovingien qui a régné de 623 à 629 (période d'ailleurs prospère). À cette date, impossible de dire que la civilisation islamique «invente les maths» : on est dans les toutes premières années de l'islam dans le désert d'Arabie où les combattants du djihâd n'inventent certainement pas les mathématiques !

Quand l'abbé Suger qui a posé les bases du style gothique et fait édifier Saint-Denis par la même occasion, est mort en 1151, Saladin avait 13 ans, Aix-la-Chapelle trois siècles et demie et Cluny III était devenue la plus grande construction de la chrétienté.

Saladin, sultan kurde (règne de 1174 à 1193), n'a absolument rien « appris », rien « transmis » aux Occidentaux. Il n'était pas un savant, un érudit. Admettons qu'ici « Saladin » soit utilisé comme une figure symbolisant l'ensemble du monde islamique médiéval. Peut-on dire alors que c'est via les savants musulmans qu'on aurait appris en Occident à faire cathédrales et vitraux ? Là encore, non.

L'architecture gothique est faite d'une multitude d'inventions et d'innovations : certaines viennent sans doute de la civilisation hispanique puis islamique (comme l'ogive), mais d'autres sont des inventions occidentales (la croisée d'ogives). Avant la conquête musulmane de l'Espagne en 711, l'architecture wisigothique, qui s'est développée dans la péninsule ibérique sous le royaume wisigoth (Ve siècle jusqu'à l'arrivée des Omeyyades), utilisait déjà des arcs en fer à cheval. Ces arcs, caractérisés par une courbure qui dépasse le demi-cercle (souvent environ un tiers de plus), étaient employés dans des églises et des édifices religieux. Après la conquête musulmane de 711, l'architecture omeyyade en El-Andalous (Espagne musulmane) a repris et amplifié l'usage des arcs en fer à cheval. Avec leur forme élancée et parfois légèrement pointue, ils ont joué un rôle dans l'évolution vers des formes ogivales, car ils permettaient une meilleure répartition des forces et une esthétique plus verticale.

Quant au vitrail, il est attesté en Europe dès l'Antiquité tardive, se transforme au IXe siècle (vitrail au plomb). Les christianismes orientaux vont dédaigner cet art. Dire que c'est Saladin qui l'aurait « appris » aux Occidentaux, est tout bonnement faux.

Dans ces deux minutes de conférence, Mélenchon oppose une Europe médiévale arriérée à une civilisation islamique médiévale glorifiée (les maths, Saladin en professeur). Cette vision s'appuie sur plusieurs erreurs historiques majeures.

Voir aussi