2) Les pourcentages affichés reposent sur des classifications peu documentées et parfois arbitraires
L’infographie attribue 63 % des homicides à « l’extrême droite », 23 % à « l’islamisme radical » et 10 % à « l’extrême gauche ». Ces chiffres semblent simples ; ils ne le sont pas. Les bases de données sur les crimes « extrémistes » diffèrent fortement selon leurs critères de classement : comment classer un homicide commis par une personne qui a tenu des propos haineux mais dont le mobile est familial ? Comment traiter une attaque collective liée à des émeutes ou à des mouvements sociaux qui ne se traduit pas par des homicides individuels ? Comment classer l’attaque d’une club homosexuel (comme à Colorado Springs, 5 tués) par une personne qui aurait tenu des propos néonazis mais se dit non-binaire (et donc partie de la coalition LGBTQ2SAI+) ? Celle d’un homme torturé par sa non-binarité ou son idéologie d’extrême droite? Les recherches reconnues montrent que la décision de coder un acte comme « idéologique » dépend d’un faisceau de critères (motifs avérés, revendications, affiliations, preuves documentaires) et que, selon ces critères, le poids de chaque catégorie peuvent varier notablement. Sans exposition claire du protocole de classification, les pourcentages de l’infographie ne sont pas vérifiables.
Par exemple, des meurtres domestiques ou crapuleux sont parfois classés comme « extrémistes » si le meurtrier a un tatouage néonazi, même si son acte sans lien direct avec une motivation politique.
À l’inverse, les violences de l’extrême gauche, comme celles associées à des émeutes ou à des groupes antifascistes, sont souvent sous-représentées parce qu’elles ne culminent pas toujours en homicides isolés, mais en destructions massives ou en blessures collectives — pensons aux émeutes de 2020 liées au mouvement Black Lives Matter, qui ont causé des milliards de dollars de dommages sans être comptabilisées ici.
Ainsi, quand un auteur est musulman, noir ou lié à l’extrême gauche, les politiciens, les médias et certains organismes (comme l’ADL) nuancent, ergotent, finassent et hésitent à cataloguer les meurtres comme motivés idéologiquement.
Musulmans : Des attaques comme celles de San Bernardino (2015, 14 morts) ou le club gay Pulse (2016, 49 morts) par des individus revendiquant l’État islamique sont parfois cataloguées comme des loups solitaires psychologiquement instables dans les premiers rapports, surtout si le mobile est flou ou si la radicalisation semble récente. Pourtant, des enquêtes (notamment le FBI en 2016) ont montré que leurs auteurs, Syed Farook et Omar Mateen, avaient des liens avec des réseaux djihadistes en ligne. Le terme « loup solitaire » est préféré pour des raisons politiques : éviter d’alimenter l’islamophobie ou de renforcer les politiques anti-immigration, un sujet sensible aux États-Unis depuis le 11-septembre.
Noirs : Dans des cas comme la tuerie de Dallas (2016, 5 policiers tués) par Micah Xavier Johnson, motivée par la colère contre les brutalités policières (influencée par Black Lives Matter), les autorités ont hésité à parler d’idéologie, préférant évoquer une « vengeance personnelle » ou un « trouble mental ». Pourtant, Johnson avait étudié des tactiques militaires et ciblé des Blancs, ce qui suggère une intention raciale évidente. On préfère alors ne pas parler de « terrorisme » pour des raisons politiques (morales diront ceux qui pratiquent cette discrimination) : ne pas stigmatiser une communauté particulière.
Extrême gauche : Des incidents comme les émeutes de Minneapolis (2020, liés à des groupes anarchistes ou antifas) ou l’attaque de Kenosha (2020, Kyle Rittenhouse visé par des militants de gauche) sont rarement qualifiés de « terrorisme idéologique », même si des manifestes ou des slogans (ex. : « ACAB »," Tous les flics sont des salauds ») indiquent une motivation politique. On parle plutôt de « troubles sociaux » ou de « déséquilibrés », surtout si les actes ne tuent pas directement. Deux civils blancs furent tués pendant ces « troubles ».
3) La comparaison internationale sans ajustement démographique est fallacieuse
La comparaison avec le Canada est un autre exemple flagrant de statistiques sélectives et trompeuses. L’infographie vante le fait que le Canada « recense beaucoup moins » de meurtres idéologiques (26 entre 2014 et 2021), contre une moyenne de 12 par an aux États-Unis. Mais elle omet complètement l’ajustement par habitant, ce qui est une faute méthodologique grave. Avec une population américaine d’environ 347 millions contre 41 millions au Canada (soit un peu moins de 9 fois plus), le taux par habitant aux États-Unis est en réalité inférieur : environ 0,039 homicide idéologique par million d’habitants par an, contre 0,085 au Canada pour la période récente (la population a crû pendant cette période nous avons donc pris une population moyenne pendant les périodes moyennes).
Des études comparatives, comme celles du Fraser Institute, montrent même que les taux de criminalité violente au Canada augmentent plus vite que aux États-Unis ces dernières années, contredisant l’image idyllique présentée ici.
Cette omission transforme une différence absolue (logique vu la taille des pays) en une critique implicite de la société américaine, sans contexte démographique, ce qui relève de la malhonnêteté intellectuelle.
4) La dichotomie gauche/droite aux extrêmes est-elle réellement pertinente ?
L’usage de la grille gauche/droite dans la classification des violences politiques relève souvent d’un réflexe commode, mais scientifiquement fragile. Elle ne permet pas de rendre compte de la complexité des motivations et des logiques d’action.
Prenons le cas du pic de 1995 : l’attentat d’Oklahoma City (168 morts), commis par Timothy McVeigh. Celui-ci n’était pas un « conservateur social » typique, encore moins un militant républicain. Athée, hostile aux institutions religieuses, il ne défendait pas la famille traditionnelle mais se vivait comme un anarchiste radical anti-étatique, animé par une vision libertarienne de l’individu armé contre un État fédéral jugé envahissant. Classer McVeigh comme un terroriste « d’extrême droite » est donc une simplification abusive, qui gomme la nature fondamentalement anti-autoritaire de son idéologie.
Plus largement, l’histoire montre que les grands totalitarismes du XXe siècle ne se laissent pas enfermer dans le spectre classique gauche/droite. Le national-socialisme et le bolchevisme, tous deux révolutionnaires à leur manière, partagent des traits communs : culte du chef, hiérarchie militarisée, contrôle absolu de l’État, effacement des contre-pouvoirs, et volonté d’éradication de toute opposition. En URSS, après les expériences libertaires des années 1920 (divorce facile, émancipation des femmes, libéralisation sexuelle), le régime stalinien a fini par réprimer sévèrement ces libertés, abolissant même la libéralisation du divorce et criminalisant l’homosexualité — preuve que les catégories « gauche/libertaire » et « droite/conservatrice » ne sont pas stables mais évolutives.
On observe aussi que certains mouvements dits « de droite » empruntent des thèmes traditionnellement associés à la gauche. Le Rassemblement National, en France, tout en étant étiqueté comme parti « d’extrême droite », défend un État-providence renforcé, un protectionnisme économique et un discours anti-élitiste. Cette plasticité idéologique illustre à quel point le populisme contemporain dépasse le cadre binaire gauche/droite.
Dès lors, on peut légitimement s’interroger : le recours à cette dichotomie dans les bases de données et les infographies sur la violence politique ne relève-t-il pas moins d’une exigence scientifique que d’une commodité rhétorique ? En particulier lorsqu’il permet, par effet de cadrage, d’associer mécaniquement les violences anarchistes ou anti-étatiques à « la droite », ce qui contribue implicitement à diaboliser les conservateurs sociaux ou les républicains classiques, qui n’ont rien à voir avec ces mouvances.
5) Les bases de données de recherche nuancent la simple opposition droite/gauche/islamiste
Le graphique montre bien une répartition simple : la majorité des meurtres politiques viendraient de l’extrême droite (63 %), loin devant l’islamisme radical (23 %), la gauche radicale (10 %) et d’autres courants marginaux. Mais la recherche scientifique nuance fortement cette lecture.
En réalité, comparer la violence politique n’est pas aussi simple que de compter des pourcentages. Selon les travaux universitaires fondés sur plusieurs bases de données, les tendances varient selon les périodes et les contextes. Par exemple, l’extrême droite a effectivement produit beaucoup d’attaques dans certaines années, mais d’autres courants ont été plus marquants dans d’autres contextes. De plus, le « nombre » d’attentats ne dit pas tout : la gravité (le nombre de victimes par attaque), le profil des auteurs et le type de violence changent selon les idéologies et les époques.
En clair : réduire le phénomène à des parts fixes (63 %, 23 %, etc.) sans préciser la méthode utilisée est trompeur. Pour faire des comparaisons solides, il faut des données transparentes, des définitions partagées et prendre en compte à la fois la fréquence, la létalité et les circonstances des violences politiques.
6) Le choix des couleurs
L’infographie ne se contente pas de donner des chiffres : elle les met en scène. Le choix de représenter chaque silhouette comme 1 % du total renforce l’idée que l’extrême droite « remplit l’espace » (grande masse rouge vif), tandis que l’islamisme radical (vert pâle) semble marginalisé visuellement, alors que l’inclusion du 11-septembre aurait totalement inversé ce rapport. C’est un effet de cadrage graphique classique : la proportion choisie et la palette de couleurs dictent la lecture intuitive du lecteur plus que les chiffres eux-mêmes.