samedi 9 août 2025

Le nombre d'articles scientifiques considérés comme frauduleux double tous les 18 mois

Selon un article publié dans PNAS (Actes de l'Académie nationale des sciences) le 4 août, la fraude scientifique est très répandue et se développe rapidement. En effet, alors que le nombre d'articles scientifiques double tous les 15 ans environ, le nombre d'articles considérés comme frauduleux double tous les 18 mois (voir graphique ci-dessous).

Cette situation est extrêmement préjudiciable à la science, affirme Luís Nuñes Amaral, physicien à l'université Northwestern de Chicago et auteur principal de l'étude. Sans meilleures mesures de protection, les chercheurs ne pourront plus se fier à la littérature scientifique et risquent de perdre leur temps et de gaspiller des subventions en essayant de reproduire des expériences frauduleuses. Si rien n'est fait, « l'entreprise scientifique telle qu'elle existe aujourd'hui sera détruite », affirme-t-il.


Il est clair depuis longtemps que la fraude en matière de publication provient rarement de fraudeurs isolés. Au contraire, des entreprises appelées « usines à articles » préparent de faux articles scientifiques remplis d'expériences inventées et de données bidon, souvent à l'aide de modèles d'intelligence artificielle (IA), et vendent la paternité de ces articles à des universitaires qui cherchent à augmenter leur nombre de publications. Mais l'analyse menée par le Dr Amaral et ses collègues suggère que certains rédacteurs en chef de revues pourraient sciemment accepter ces articles. Leur article suggère qu'une partie des rédacteurs en chef de revues sont responsables de la majorité des articles douteux publiés dans leurs revues.

Pour parvenir à cette conclusion, les auteurs ont examiné les articles publiés par PLOS ONE, une revue très importante et généralement bien considérée qui identifie lequel de ses 18 329 rédacteurs en chef est responsable de chaque article. (La plupart des rédacteurs sont des universitaires qui acceptent de superviser l'évaluation par les pairs en parallèle de leurs recherches.) Depuis 2006, la revue a publié 276 956 articles, dont 702 ont été retirés et 2 241 ont fait l'objet de commentaires sur PubPeer, un site qui permet à d'autres universitaires et à des enquêteurs en ligne de faire part de leurs préoccupations.

Lorsque l'équipe a analysé les données, elle a découvert que 45 rédacteurs en chef avaient facilité l'acceptation d'articles retirés ou signalés beaucoup plus fréquemment que ce à quoi on aurait pu s'attendre par hasard. Bien qu'ils n'aient été responsables du processus d'évaluation par les pairs que pour 1,3 % des soumissions à PLOS ONE, ils étaient responsables de 30,2 % des articles retirés.

Les données ont révélé des tendances encore plus inquiétantes. D'une part, plus de la moitié de ces rédacteurs étaient eux-mêmes auteurs d'articles retirés par la suite par PLOS ONE. D'autre part, lorsqu'ils soumettaient leurs propres articles à la revue, ils se recommandaient régulièrement les uns les autres comme rédacteurs. Bien que les articles puissent être retirés pour de nombreuses raisons, y compris des erreurs honnêtes, le Dr Amaral estime que ces tendances indiquent l'existence d'un réseau de rédacteurs qui coopèrent pour contourner les normes habituelles de la revue.

Le Dr Amaral ne nomme pas les éditeurs dans son article, mais le magazine scientifique Nature s'est ensuite appuyé sur son analyse pour identifier cinq des éditeurs concernés. PLOS ONE affirme que ces cinq personnes ont fait l'objet d'une enquête et ont été licenciées entre 2020 et 2022. Ceux qui ont répondu aux questions de Nature ont nié toute malversation.

Bien que l'analyse du Dr Amaral soit convaincante, elle ne prouve pas de manière concluante un comportement malhonnête. Néanmoins, ces conclusions s'ajoutent à un nombre croissant de preuves suggérant que certains rédacteurs en chef jouent un rôle actif dans la publication de recherches de qualité inférieure. Une enquête menée en 2024 par RetractionWatch, une organisation qui surveille les articles rétractés, et Science, un autre magazine, a révélé que des usines à articles avaient soudoyé des rédacteurs en chef dans le passé. Les rédacteurs en chef pourraient également utiliser leurs pouvoirs pour faire avancer leur propre carrière universitaire. Les enquêteurs de PubPeer ont signalé des articles dans plusieurs revues qui semblent avoir été co-rédigés soit par le rédacteur en chef supervisant l'évaluation par les pairs, soit par l'un de ses proches collaborateurs, ce qui constitue un conflit d'intérêts évident.

Détecter les réseaux de rédacteurs en chef comme l'a fait l'équipe du Dr Amaral « est tout à fait nouveau », explique Alberto Ruano Raviña de l'université de Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne, qui mène des recherches sur la fraude scientifique et n'a pas participé à l'étude. Il s'inquiète particulièrement du fait que de faux articles continuent de figurer dans les archives scientifiques dans le domaine médical, où leurs conclusions erronées pourraient être utilisées pour mener des évaluations qui servent de base aux directives cliniques. Un article récent publié dans la revue médicale BMJ a révélé que 8 à 16 % des conclusions des revues systématiques incluant des preuves retirées par la suite s'avéraient fausses. « C'est un vrai problème », déclare le Dr Ruano Raviña.

Pourtant, les incitations à la fraude continuent de l'emporter sur les conséquences. Des mesures telles que le nombre de publications d'un chercheur et le nombre de références vers celles-ci sont devenues des indicateurs puissants de la réussite universitaire et sont considérées comme nécessaires pour construire une carrière. « Nous nous sommes concentrés sur les chiffres », explique le Dr Amaral. Cela est parfois explicite : le personnel des facultés de médecine indiennes est tenu de publier un certain nombre d'articles pour obtenir une promotion. De leur côté, certaines revues scientifiques génèrent d'autant plus de revenus qu'elles acceptent d'articles.  Il faudra du temps pour inverser ces deux tendances. En attendant, les éditeurs déploient de nouveaux outils de filtrage des contenus suspects, notamment certains qui repèrent les « phrases alambiquées » (des paraphrases absurdes générées par des modèles d'IA pour échapper au plagiat, comme « informations colossales » au lieu de « mégadonnées ») ou les références mal placées.

Les éditeurs subissent également une pression croissante pour éliminer les mauvais articles. Les bases de données de revues réputées, telles que Scopus ou Web of Science, peuvent « retirer de la liste » des revues, ruinant ainsi leur réputation. Il appartient aux éditeurs de demander leur réinscription, ce qui implique de faire le ménage dans la revue. « Si nous constatons la présence de contenus non fiables que vous ne retirez pas, vous ne serez pas réintégrés », déclare Nandita Quaderi, rédactrice en chef de Web of Science. Mais il reste à voir si les éditeurs et les nombreux rédacteurs qui travaillent dur pour empêcher les mauvaises publications scientifiques d'apparaître dans leurs revues pourront suivre le rythme des usines à articles.

Source : The Economist
 
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vendredi 8 août 2025

Besoins croissants du système éducatif québécois, exacerbés par l'augmentation du nombre d'élèves immigrés


En réponse aux vives critiques concernant les coupures en Éducation annoncées le 12 juin, le gouvernement du Québec a finalement annoncé un mois plus tard un réinvestissement de 540 millions de dollars dans le réseau scolaire.

Cette somme, destinée à atténuer l'impact des restrictions budgétaires initiales associées aux étudiants, doit «aller en totalité aux services aux élèves» et doit «s’accompagner de réduction des dépenses administratives des centres de services scolaires», selon le ministre Bernard Drainville.

Les critiques demeurent toutefois vives de la part des acteurs du milieu de l’éducation, qui s’inquiètent de la capacité des écoles à maintenir les services aux élèves tout en devant faire face aux restrictions budgétaires et qui continuent de dénoncer les coupures et leurs conséquences négatives.

Alors que le gouvernement se targue d’avoir fait des investissements importants, le débat continue sur la pertinence des politiques de la CAQ en matière d'éducation et sur l'impact réel de ces politiques sur le terrain.

Écoutez Bernard Drainville aborder les défis budgétaires et les besoins croissants du système éducatif québécois, exacerbés par l'immigration et l'augmentation du nombre d'élèves immigrés (dont les parents ont peu contribué au Trésor public), jeudi matin, à l'émission de Jean-Sébastien Hammal.

Il traite aussi de l'importance de nouvelles méthodes de gestion pour maximiser l'efficacité des dépenses tout en respectant la capacité de payer des contribuables.

Bernard Drainville mentionne qu'il espère rester ministre de l'Éducation, mais qu'il respectera la volonté de son premier ministre s'il devait y avoir un remaniement qui le concerne.

Il discute aussi des impacts de sa vie professionnelle sur sa vie personnelle et laisse entendre qu'il souhaite être en mesure de se représenter dans le comté de Lévis lors des prochaines élections.

Le Japon a perdu près d'un million d'habitants en 2024


L’archipel nippon a connu en 2024 la plus forte baisse de sa population jamais enregistrée, en perdant presque un million de personnes en un an. Le nombre de naissance est également tombé à son niveau le plus bas depuis le début des relevés en 1899.

La  population japonaise  a diminué d'un nombre record - plus de 900.000 personnes de nationalité japonaise - en 2024, selon les données officielles nippones publiées mercredi 6 août, malgré les efforts du gouvernement pour tenter de relancer la natalité. L'an dernier, le nombre de Japonais a chuté précisément de 908.574 personnes, soit 0,75 %, pour atteindre 120,65 millions d'habitants.

Il y a quelques mois, le premier ministre  Shigeru Ishiba  avait qualifié la situation «d'urgence silencieuse», s'engageant à mettre en place des mesures favorables pour les familles, telles que des horaires de travail plus flexibles et une garde d'enfants gratuite, pour tenter d'inverser la tendance.

La baisse enregistrée en 2024 - la 16e consécutive - est la plus importante depuis le début des relevés en 1968, a expliqué mercredi le ministère des Affaires intérieures. En revanche, le nombre de résidents étrangers a atteint son plus haut niveau depuis le début des enregistrements en 2013 avec 3,67 millions d'étrangers au 1er janvier 2025, soit près de 3% de la population totale du Japon. Celle-ci s'est établie à 124.330.690 personnes, y compris les étrangers, en baisse de 0,44 % par rapport à l'année précédente. La population maximale du Japon a été enregistrée en 2008, avec environ 128,08 millions d'habitants. 

Le Japon dispose de la  deuxième population la plus âgée au monde  (avec un âge médian 49,9 ans) après Monaco (56,9 ans), selon la Banque mondiale. Par tranche d'âge, les Japonais de 65 ans et plus représentent 29,58 % de la population, tandis que les 15-64 ans constituent 59,04 %, les deux enregistrant de légères augmentations par rapport à 2023. 

D'après des données distinctes publiées en juin par le ministère de la Santé, le nombre de  naissances au Japon  l'année dernière est tombé pour la première fois sous la barre des 700.000. L'archipel a ainsi accueilli 686.061 nouveau-nés en 2024, soit 41.227 de moins qu'en 2023. Il s'agit du chiffre le plus bas depuis le début des enregistrements en 1899. Le taux de fécondité  (le nombre moyen d’enfants qu’une femme est censée avoir au cours de sa vie) est également tombé à un niveau record de 1,15.
 
 « Objectif bébé » : ces étonnantes largesses accordées par la ville de Tokyo à ses employés
Le Japon fait face à une crise démographique majeure. De nouvelles mesures proposent aux salariés un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée pour encourager la parentalité.

Mesure natalistes

À partir d'avril, les fonctionnaires tokyoïtes pourront prendre jusqu'à trois jours de repos par semaine. 

Des horaires de travail plus flexibles pour encourager la parentalité. Le Japon parie sur cette solution pour inverser sa courbe des naissances . La capitale Tokyo a ainsi annoncé introduire la semaine de travail de quatre jours pour ses employés municipaux à partir d'avril 2026.

« Nous allons commencer par un soutien complet à l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée en introduisant un système d'horaires de travail plus flexible, comme trois jours de repos par semaine », a déclaré la gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, dans un discours politique devant le conseil municipal.

Les fonctionnaires de la ville devront toutefois toujours effectuer 155 heures de travail par mois, a précisé à l'AFP Sachi Ikegami, responsable en charge des ressources humaines. Ceux qui élèvent de jeunes enfants pourront également avoir des journées de travail raccourcies de deux heures, a-t-il ajouté.

Le gouvernement japonais a pris le sujet à bras-le-corps depuis plusieurs années en augmentant le budget global des politiques consacrées à l'enfance . L'enveloppe a atteint 4.700 milliards de yens par an, soit 30 milliards d'euros mais cette « stratégie des allocations » est visiblement insuffisante.

Favoriser les mères qui travaillent

La semaine de travail de quatre jours , rare au Japon, s'impose ainsi progressivement dans les gouvernements locaux qui cherchent à renforcer le soutien aux parents. Le Premier ministre Shigeru Ishiba, nouvellement élu, a également promis des politiques avec des horaires de travail plus flexibles.

L'idée selon laquelle les mères qui travaillent doivent également assumer les charges domestiques et élever les enfants est considérée comme l'un des facteurs clés de la pénurie d'enfants dans l'archipel. « Le retard en matière d' autonomisation des femmes est un problème de longue date au Japon, et rendre la société plus diversifiée et prospère est la clé de notre brillant avenir », a expliqué Yuriko Koike, qui a été élue pour un troisième mandat en juillet en s'engageant à améliorer les prestations sociales à Tokyo.

jeudi 7 août 2025

Chute de Rome: le christianisme était-il le coupable ?



Le christianisme est-il responsable de la chute de l'Empire romain ? Telle est l’idée de Voltaire, reprise par l’historien Edward Gibbon dans son « Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain » : le christianisme aurait désintéressé les empereurs chrétiens puis les populations de la défense de l’Empire. Face au Capitole, au sommet duquel Gibbon a eu cette intuition, Michel De Jaeghere, directeur du « Figaro Hors-série », réfute cette thèse point par point.

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mercredi 6 août 2025

Une première peine adaptée aux criminels racisés au Québec (comprendre un an de moins car le coupable était noir)

Pour la première fois dans l’histoire judiciaire du Québec, une peine a été déterminée en s’appuyant sur l’analyse des facteurs systémiques, censément adaptée aux criminels racisés – surtout les Noirs. Cette démarche, qui existe déjà dans le reste du Canada, risque d’être de plus en plus utilisée dans les prochaines années.

Le cabinet du ministre québécois responsable de la Lutte contre le racisme, Christopher Skeete, a qualifié de « triste première » la prise en compte d’un rapport censément adapté aux « réalités » des criminels racisés (noirs en l'occurrence) dans la détermination d’une peine.  Bien que nous respections pleinement l’indépendance judiciaire, ce jugement soulève des questions fondamentales sur l’égalité des citoyens devant la justice. Créer deux classes de citoyens, selon leur origine, est préoccupant », a réagi le cabinet du ministre Skeete.

Dans une décision récente rendue fin juillet au palais de justice de Longueuil, la juge Magali Lepage a condamné l’accusé Frank Paris à 24 mois de prison dans une affaire de trafic de cannabis et de haschich. Ce dernier avait déjà plaidé coupable. Jusqu’ici, rien d’inhabituel, nous rassure la Presse de Montréal.



Or, pour déterminer sa peine, la juge a considéré la jurisprudence, une analyse de la preuve, une balance des facteurs [style du journaliste ! lire : a soupesé les facteurs] aggravants et atténuants… mais aussi une évaluation de l’impact de l’origine ethnique ou culturelle (EIOEC), une analyse particulière qui se penche sur le parcours personnel d’un criminel à travers la loupe des [prétendues] barrières systémiques auxquelles il a pu faire face.

Après la lecture de l’évaluation, la juge a décidé d’accepter la suggestion de [peine proposée par] la défense, presque un an plus courte que celle de la poursuite.

Il s’agit d’une première au Québec. Aucun juge québécois n’avait considéré une EIOEC dans la détermination d’une peine jusqu’au 28 juillet dernier. La décision risque donc de faire jurisprudence dans le contexte québécois. De telles procédures existent depuis 2014, ailleurs au Canada.

Qu’est-ce qu’une EIOEC ?


Une EIOEC est un rapport présentenciel [le jargon! calque de l'anglais « presentential », comprendre ici « préalable » à la sentence] d’experts qui est utilisé pour déterminer la peine d’une personne racisée – mais qui est surtout utilisé pour les personnes noires. Elle est donc déposée après qu’un accusé est reconnu coupable, mais avant que la peine soit déterminée.

Le rapport fait un examen exhaustif du parcours de l’accusé, avec une insistance sur les « réalités propres » aux personnes racisées, à la « discrimination systémique » qu’elles ont vécue et aux défis spécifiques auxquels elles sont plus exposées (plus bas taux de diplomation, plus grande proportion de familles monoparentales et de père absent, plus grand risque de vivre dans des quartiers défavorisés et criminalisés, etc.). [On ne comprend pas pourquoi les condamnés pauvres blancs ou issus de famille défavorisée n'ont pas droit aux mêmes égards... Mais bon la loi est égale pour tous... hmmm]

Pour le journal La Presse, on considère que ces facteurs, plus présents chez les Noirs, mènent plus facilement à la criminalité.

Comme tente de l’expliquer Me Valérie Black St-Laurent, avocate et directrice des opérations chez Jurigo, « l’objectif d’une EIOEC, c’est vraiment d’informer la Cour pour contextualiser le parcours de la personne qui se trouve devant elle et pour qu’elle puisse rendre une peine qui est juste » et individualisée, comme le prévoit le Code criminel.

« C’est individualisé, mais il reste que les statistiques montrent que tout le groupe des personnes noires est victime de discrimination », renchérit sans hésitation Karine Millaire, professeure adjointe à la faculté de droit de l’Université de Montréal.

« Il faut tenir compte du fait qu’il y a une surincarcération des personnes noires qui est issue du fait que notre système est aussi discriminatoire », prétend-elle.



Concrètement, ça s’articule comment ?

Dans le cas de Frank Paris, le rapport rappelle qu’il a grandi sans son père et que la monoparentalité est beaucoup plus importante chez les Noirs du Canada que chez d’autres groupes. L’EIOEC soulève également son enfance à Côte-des-Neiges, à Montréal, un « quartier défavorisé caractérisé par la pauvreté et le crime », et où « il y avait du profilage racial ».

Sans faire de diagnostic, les autrices du rapport arguent aussi pour que soit considérée « la possibilité de syndrome post-traumatique (TSPT) » associé au « traumatisme intergénérationnel de l’esclavage » en Nouvelle-Écosse – d’où vient sa mère – dans l’appréciation du parcours de vie de M. Paris, et donc dans sa peine.

La Nouvelle-Écosse compte une population noire historique issue de l’esclavage [aboli il y a près de deux siècles]. Même s’il est né au Québec, les visites fréquentes de M. Paris dans la famille de sa mère « ont forgé une expérience d’homme noir diverse, enracinée dans les églises noires » de cette province, peut-on lire dans le rapport.

Le rapport relève aussi des moments précis de discrimination raciale subis par l’accusé, notamment lorsqu’il a été erronément détenu dans un centre pour migrants parce qu’on le croyait jamaïcain, malgré sa citoyenneté canadienne.

Dans sa décision, la juge écrit qu’après la lecture de l’EIOEC, « la Cour a décidé de réduire la sentence qui devrait être de 35 mois à une sentence de 24 mois », comme le voulait la défense – une peine déjà purgée en détention préventive. Elle a aussi ajouté une probation de trois ans.

« Nous devons apprendre. Nous devons nous adapter », écrit la juge Lepage.

Est-ce que cette démarche est aussi utilisée pour d’autres groupes ?

Oui. Le fondement même des EIOEC repose sur ce qui est fait avec les délinquants autochtones depuis plus d’un quart de siècle.

En 1999, l’arrêt R. c. Gladue de la Cour suprême du Canada énonce que les juges doivent considérer les « facteurs systémiques » distinctifs des Autochtones, notamment l’impact de la colonisation, lors de la détermination de la peine. C’est le début des rapports Gladue, qui jouent un rôle semblable à celui des EIOEC.

Dans sa décision, la juge Lepage a tenu à souligner que la démarche qui a mené à la peine réduite de M. Paris est « réminiscente des sentences adaptées aux besoins et enjeux » des Autochtones.

Il existe cependant une distinction entre ces procédures. Les juges ont l’obligation de considérer les rapports Gladue ; les mettre de côté constituerait une erreur de droit. Les EIOEC, elles, ne sont ni obligatoires ni codifiées. Elles sont plutôt traitées comme des opinions d’experts, au même titre que le serait une évaluation psychiatrique ou une analyse balistique.

Karine Millaire souligne que les Autochtones et les Noirs partagent des caractéristiques fondamentales. Historiquement, ce sont les deux groupes qui ont subi de l’esclavage au pays [euh, on y reviendra mais les autochtones étaient aussi esclavagistes et jusqu'au XIXe siècle en Colombie-Britannique!]. De manière plus contemporaine, ce sont les groupes ayant les plus importants enjeux de surincarcération – attribuables à la discrimination, selon la Cour suprême.

N’existe-t-il pas déjà des rapports présentenciels [préalables à la sentence] ?

Oui. « Même pour des personnes qui ne sont ni racisées ni autochtones, des rapports présentenciels (RPS) sont remplis tous les jours » pour permettre à la Cour d’avoir un portrait plus global des personnes devant elle, explique Me Black St-Laurent. On y évalue évidemment les agissements de l’accusé, mais aussi le « milieu sociodémographique dans lequel il évolue, le type d’emploi qu’il occupe », son entourage, son parcours, etc.

Or, « les RPS ne viennent souvent pas contextualiser les aspects systémiques et les enjeux institutionnels, et sont donc incomplets », argue Me Black St-Laurent. D’où la nécessité du processus formalisé de l’EIOEC, selon elle.

« Il faut défaire le mythe que ce sont des processus différents. Toute personne qui est condamnée pour sa détermination de la peine a ce droit de présenter tous les facteurs pertinents dans la prise en compte de son contexte. On ne se retrouve pas à créer un régime qui est hors-la-loi pour les personnes noires », allègue  Karine Millaire.

« Ultimement, c’est le même pouvoir discrétionnaire du juge de tenir compte de la situation de la personne. Mais la situation est que, si on est racisé, on fait partie d’un groupe qui vit du racisme systémique. » [par définition circulaire dirait-on, racisme systémique dont les effets seraient séculaires voir l'invocation à l'esclavage en Nouvelle-Écosse]. 


Source : La Presse

Laïcisme — Défendre la signification « profonde et commune » du parvis d'une basilique en y interdisant les prières catholiques ?

Au Québec, le christianisme se trouve entre le marteau et l’enclume, entre le laïcisme et l’islam, je ne saurais dire lequel est le marteau et lequel est l’enclume, mais cela n’a pas une grande importance, le christianisme est coincé entre les deux.

Tout récemment, dimanche dernier en fait, une manifestation contre les prières de rues islamiques a eu lieu devant la Basilique Notre-Dame de Montréal, son message cependant, ne s’arrêtait pas aux seules prières de rues islamiques, il demandait au gouvernement l’interdiction de toute prière publique...

En effet, lors de cette manifestation, la militante laïque d’origine iranienne, Mandana Javan, déclarait devant la foule d’une centaine de personnes que « Depuis plusieurs mois, ce lieu emblématique devient le théâtre de prosélyte ostentatoire, sans égard pour la signification profonde et commune de cet espace », avant d’appeler plus loin le gouvernement à interdire la prière sur la place publique, rapporte Le Devoir.

L’événement a attiré divers groupes et individus, tel que Nouvelle Alliance ou La Meute, on pouvait voir dans la foule un homme qui tenait une pancarte disant « Le Québec restera chrétien ». On comprend que ce qui unissait ces gens (malgré les dissociations d’usage, mises en avant par certains) c’était la défense du symbole que représente la basilique et la Place d’Armes au milieu de laquelle est sise la magnifique statue de Paul Chomedey de Maisonneuve, un symbole fort du Québec, face aux provocations des prières islamiques qui ont fréquemment lieu devant le vénérable bâtiment.

On comprend aisément le motif, mais le remède proposé est-il le bon ?

On voit mal comment on peut défendre la signification « profonde et commune » de ce lieu en bannissant de la place publique, en même temps que l’islam, ce qui en fait partie.

En effet, c’est ce catholicisme prosélyte (oh ! le vilain adjectif que j’emploie...) qui a présidé à la fondation de Montréal, alors Ville-Marie, une ville qui devait être le tremplin de l’évangélisation des Autochtones en Amérique du Nord. Oui, c’est dans le but de fonder une ville missionnaire que Paul Chomedey de Maisonneuve a été envoyé.

Or, vous ne pouvez pas défendre la signification « profonde et commune » d’un lieu aussi emblématique en prétendant entraver par la bande ce même catholicisme prosélytique. C’est une position intenable. Quid des processions de la Fête-Dieu, des chemins de croix du Vendredi Saint et des pèlerinages ?

Qu’on me pardonne, d’ailleurs, de souligner que ce n’est pas en empêchant les musulmans de prier dans la rue que vous allez empêcher la propagation de l’islam. Ce n’est pas en empêchant la manifestation d’un symptôme que vous allez en empêcher la cause.

Du reste, le motif invoqué par le gouvernement pour envisager d’interdire la prière publique, « On ne souhaite pas voir des prières dans les rues », est très peu élevé pour une interdiction aussi large : le peuple ne le souhaite pas ; les gens en ont assez — depuis quand est-ce qu’on fait des lois sur de simples sentiments ? Qu’on revienne avec des raisons plus sérieuses et avec des solutions qui visent précisément leur objectif et on pourra en parler sérieusement. La politique actuelle semble malheureusement ne devoir être menée qu’à l'aune des sentiments, ce qui ne présage rien de bon dans bien des domaines.

Chine — L'année dernière, il y avait 12 millions d'élèves de maternelle de moins qu'en 2021


Il y a moins de trois ans, Mme Jiang rangeait des jouets et chantait des comptines comme éducatrice dans une crèche à Pékin. Elle se souvient que les parents frappaient à la porte pour inscrire leurs enfants. Cela est devenu de plus en plus rare, jusqu'à ce que Mme Jiang se retrouve l'année dernière à distribuer des prospectus pour la crèche pendant ses pauses déjeuner. Elle a compris que l'avenir était scellé. En mai dernier, Mme Jiang a décidé de se tourner vers un secteur offrant de meilleures perspectives de croissance : les maisons de retraite. « Il est plus facile de s'occuper de personnes âgées que de jeunes enfants », estime-t-elle. Et ses compétences en matière de loisirs créatifs et de jeux lui sont très utiles.

Entre 2017 et 2022, le taux de fécondité total de la Chine, c'est-à-dire le nombre de naissances par femme, est passé de 1,8 à 1 [1,2 selon la Banque mondiale]. Ce chiffre est bien inférieur au taux de remplacement de 2,1, qui permet de maintenir la population à un niveau stable. Afin de stimuler les naissances, la Chine vient d'annoncer des subventions de 3 600 yuans (500 dollars) par an pour chaque enfant de moins de trois ans. Mais cette chute a déjà des répercussions sur les crèches. De 2021 à 2024, le nombre d'élèves dans les écoles maternelles est passé de 48 millions à 36 millions, selon les données officielles. Environ 42 000 des 295 000 écoles maternelles ont fermé leurs portes, et 360 000 des 3,2 millions d'enseignants du préscolaire ont quitté leur emploi.

Il y a toutefois une lueur d'espoir pour ceux qui ont su s'adapter. Alors que le nombre d'enfants âgés de trois à six ans fréquentant les crèches en Chine passera de 49 millions à 35 millions au cours des cinq prochaines années, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus passera de 211 millions à 256 millions pendant cette même période, selon les projections de l'ONU, et continuera d'augmenter. La Chine a cruellement besoin de plus de personnel pour s'occuper d'eux. En 2021, elle ne comptait qu'un demi-million de travailleurs sociaux certifiés, selon le Quotidien du Peuple, organe officiel du Parti communiste chinois.

 Cela représente seulement 0,27 travailleur social pour 100 personnes âgées de 65 ans et plus, un chiffre extrêmement bas. (La même année, le chiffre moyen pour l'OCDE, un club regroupant principalement des pays riches, était de 5,7.) Les universités ont également lancé des diplômes en soins aux personnes âgées pour aider. La première promotion d'étudiants a obtenu son diplôme l'année dernière, apparemment très demandé.

Tout cela a motivé une certaine Mme Wu à ouvrir sa propre maison de retraite dans le Jiangxi en 2023, après avoir travaillé pendant des années dans des crèches. Elle compte neuf résidents qui paient 2 600 yuans (360 dollars) par mois pour y séjourner. Selon elle, les perspectives pour le secteur des soins sont prometteuses. À l'heure actuelle, les personnes vivant dans des maisons de retraite ont plusieurs enfants, mais celles nées dans les années 70 et 80 n'ont pour la plupart qu'un seul enfant, ce qui signifie qu'elles auront moins de personnes pour s'occuper d'elles lorsqu'elles vieilliront. Mme Wu reçoit presque tous les jours des demandes de renseignements de la part de clients potentiels. Elle en a également reçu quelques-unes de la part d'éducateurs de crèche qui souhaitent suivre son exemple.

Le gouvernement apprécie les établissements « à usage mixte » où jeunes et personnes âgées sont pris en charge. L'année dernière, à Chongqing, dans le centre de la Chine, par exemple, un étage vide d'une crèche a été transformé en « centre de soins pour personnes âgées », selon un rapport local. Il disposait d'installations pour le sport (tables de ping-pong) et les arts (tables de calligraphie), et lorsque les éducateurs de la crèche étaient libres, ils enseignaient aux personnes âgées. Un journal publié par la Commission nationale pour le développement et la réforme, le principal organisme de planification économique de Chine, a appelé les gouvernements locaux à accorder des subventions et des avantages fiscaux à ce type de projets. Et les personnes âgées apprécient la compagnie des jeunes ; certains grands-parents déposent même leurs petits-enfants à la crèche avant de se rendre à leur étage.

mardi 5 août 2025

Royaume-Uni : compter sur les migrants pour stimuler l'activité économique pose de « sérieux problèmes » selon Commission

La commission des dépenses de du Bureau pour la responsabilité budgétaire a déclaré que le fait que le Royaume-Uni compte sur les migrants pour stimuler l'activité économique et redresser les finances publiques posait de « sérieux problèmes ».

Scène de rue à White Chapel

Un taux d'immigration élevé n'est peut-être pas toujours bon pour les relations entre les communautés si un grand nombre de nouveaux arrivants s'installent dans un même quartier, mais il contribue au moins à stimuler le PIB en fournissant une source de travailleurs enthousiastes que les employeurs ont du mal à trouver en Grande-Bretagne. Voilà qui résume le point de vue de certains économistes, mais qui vient d'être rejeté en bloc par une voix importante : David Miles, qui siège au comité de du Bureau de la responsabilité budgétaire (OBR). Il écrit qu'il est erroné de penser que la Grande-Bretagne peut résoudre ses problèmes économiques en ouvrant ses portes aux travailleurs étrangers.

 L'un des arguments fréquemment avancés en faveur de l'ouverture des frontières à l'immigration est qu'elle contribue à résoudre le problème du vieillissement de la population, car les travailleurs immigrés ont tendance à être jeunes. Pourtant, selon les calculs de Miles, même si chaque migrant arrivant en Grande-Bretagne était âgé de 24 ans, le pays devrait en accepter 20 millions au cours des 40 prochaines années afin de préserver l'équilibre démographique actuel. Et, bien sûr, comme il le dit, « les jeunes d'aujourd'hui sont les vieux de demain ».

Au terme de ces 40 ans, les migrants qui arrivent aujourd'hui à l'âge de 24 ans seront proches de l'âge de la retraite. Ils seront sur le point de faire valoir leurs droits à la retraite. Tout ce que vous auriez obtenu en leur ouvrant les portes, c'est de créer une nouvelle vague de population comme celle des baby-boomers qui prennent actuellement leur retraite et contribuent ainsi à gonfler la population britannique en âge de ne pas travailler.
En outre, tous les arrivants ne sont pas âgés de 24 ans. Ceux qui viennent travailler en Grande-Bretagne sont souvent accompagnés de personnes à charge qui ne travaillent pas. Même ceux qui travaillent consomment les services publics, contribuant ainsi à accroître la pression sur des écoles, des hôpitaux et des logements déjà surchargés. Selon M. Miles, il serait bien plus avantageux sur le plan budgétaire d'investir dans le retour à l'emploi d'une plus grande partie de la population britannique en âge de travailler.

Jusqu'à récemment, le lobby anti-migration était accusé par certains d'être analphabète sur le plan économique. Pourtant, l'OBR calcule aujourd'hui qu'un migrant à bas salaire - en supposant qu'il reste en Grande-Bretagne - finira par coûter 1,55 million de livres au contribuable britannique, car les pensions et les prestations qui lui sont versées l'emportent sur les impôts qu'il paie au cours de sa vie.

Même un migrant percevant le salaire britannique moyen finira par coûter 405 000 livres nettes. Comme nous l'avons vu dans le budget de l'automne dernier et dans la révision des dépenses en mars, les prévisions de l'OBR sont cruciales pour la réflexion du ministre des Finances - Rachel Reeves adapte ses politiques fiscales et de dépenses aux prévisions des marges de manœuvre et des pertes fiscales. Maintenant que l'OBR semble s'éloigner de la vision de l'immigration de masse comme moyen de stimuler l'économie, on peut penser qu'elle aura un effet marqué sur la politique migratoire du gouvernement.

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lundi 4 août 2025

Ce que Trump apprend à Harvard

À Harvard, vous pouvez étudier la négociation. Comme il s'agit de Harvard, il existe en fait tout un programme universitaire consacré à cet art. Les principes sont simples. Comprenez vos alternatives – que se passe-t-il si vous vous battez plutôt que de faire des compromis – et vos intérêts à long terme. Comme nous sommes dans l'Amérique de Donald Trump, Harvard elle-même fait désormais l'objet d'une étude de cas.

Le gouvernement a cherché à revoir certains cours dispensés à Harvard, M. Trump ayant fait pression pour que l'université embauche moins de « gauchistes idiots » et sanctionne les manifestants pro-palestiniens. Lorsque l'université a refusé, son administration a gelé des subventions fédérales pour la recherche d'une valeur de 3 milliards de dollars et a tenté de l'empêcher d'inscrire des étudiants étrangers.

Harvard a riposté et a poursuivi le gouvernement à deux reprises. Ses nombreux partisans ont bruyamment soutenu cette résistance. Sept professeurs sur dix ayant participé à un sondage réalisé par le Crimson, un journal étudiant, ont déclaré que l'université ne devrait pas accepter un accord. Pourtant, il semble probable que Harvard cédera, à l'instar de l'université Brown et de Columbia ; selon certaines informations, elle devrait payer jusqu'à 500 millions de dollars.

Examinons les options qui s'offrent à Harvard. Le recours en justice a d'abord été couronné de succès : un juge a suspendu l'interdiction d'admettre des étudiants étrangers. Harvard a bénéficié d'une audience favorable dans le cadre de son procès visant à rétablir le financement public. Cependant, l'université sait qu'elle ne peut pas compter sur la Cour suprême, dont la majorité est conservatrice. Parallèlement, les dommages potentiels causés par la campagne de M. Trump semblent à la fois graves et existentiels. La perte des fonds fédéraux transformerait Harvard, qui passerait d'une université de recherche de classe mondiale à une université dépendante des frais de scolarité. Ces fonds représentent 11 % du budget de fonctionnement et la quasi-totalité des fonds discrétionnaires disponibles pour la recherche. Pour s'en passer tout en maintenant le niveau actuel des dépenses, l'université devrait puiser dans sa dotation de 53 milliards de dollars à raison d'environ 2 % par an. Cela est possible pendant un certain temps, mais cela éroderait les revenus futurs et une grande partie de cette dotation est de toute façon soumise à des restrictions imposées par les donateurs.

Harvard a déjà gelé certaines embauches et licencié du personnel de recherche. D'autres difficultés sont à prévoir. Le fisc américain (IRS) envisage de révoquer le statut d'exonération fiscale de Harvard. Elise Stefanik, membre républicaine du Congrès, a suggéré que l'université s'était rendue coupable de fraude boursière lorsqu'elle a émis une obligation en avril et omis dans un premier temps d'informer les investisseurs des exigences du gouvernement. Elle souhaite que la SEC (Securities and Exchange Commission) mène une enquête. Le département de la Sécurité intérieure a demandé des informations sur les étudiants étrangers qui ont participé à des manifestations en faveur de la Palestine.

Les anciens élèves, les professeurs et les étudiants se disent fiers du président de Harvard, Alan Garber, qui résiste au chantage de M. Trump. Pourtant, de plus en plus de professeurs réclament un accord, en particulier dans les domaines de la médecine et des sciences, car ce sont eux qui ont le plus à perdre. Steven Pinker, professeur de psychologie, a plaidé en faveur d'une « sortie qui préserve la dignité » : M. Trump est peut-être « dictatorial », mais « la résistance doit être stratégique, et non suicidaire ».

Un accord similaire à celui de Brown ne serait pas si difficile à accepter. Pour récupérer ses fonds fédéraux, cette université versera 50 millions de dollars à des organisations de développement de la main-d'œuvre. Le modèle le plus probable est celui conclu avec Columbia, qui a versé 200 millions de dollars au gouvernement. La plupart de ses fonds fédéraux, d'une valeur de 1,3 milliard de dollars, ont été rétablis et les enquêtes sur les violations présumées des droits civils ont été closes. Vu de l'extérieur, le prix payé par Columbia semble arbitraire, car aucune explication n'a été donnée sur la manière dont il a été calculé.

Columbia a également accepté de démanteler ses initiatives discriminatoires diversitaires (DEI) et d'embaucher des professeurs spécialisés dans Israël et le judaïsme, entre autres concessions. Un contrôleur externe veillera au respect de ces mesures. Claire Shipman, présidente par intérim de l'université, a déclaré que Columbia n'avait pas accepté de diktats sur ce qu'il fallait enseigner ou sur les personnes à embaucher et à admettre.

C'est peut-être vrai, mais l'accord ressemble fort tout de même à une extorsion. M. Trump a contourné la procédure légale par laquelle le gouvernement peut annuler des fonds. Selon la loi, l'administration doit organiser une audience et soumettre un rapport au Congrès au moins 30 jours avant que la suppression des fonds ne prenne effet. Rien de tout cela n'a été fait. Bien sûr, les accords bilatéraux coercitifs sont le métier de M. Trump : il en a conclu avec des cabinets d'avocats et des partenaires commerciaux.

Harvard a apporté des changements sur le campus qui pourraient être qualifiés de concessions dans le cadre d'un éventuel accord. Certains semblent effectivement destinés à apaiser M. Trump. Depuis janvier, l'université a adopté la définition de l'antisémitisme préconisée par le gouvernement, mis fin à son partenariat avec l'université de Birzeit en Cisjordanie, destitué la direction du Centre d'études sur le Moyen-Orient et suspendu le Comité de solidarité avec la Palestine, un groupe d'étudiants de premier cycle. Les bureaux DEI ont été renommés et leurs sites web ont été nettoyés.

Le manque de diversité idéologique à Harvard ne sera pas résolu par décret. En 2023, un sondage Crimson a révélé que moins de 3 % des professeurs se considéraient comme conservateurs. Aujourd'hui, l'université envisagerait de créer un centre de réflexion conservateur similaire à la Hoover Institution de Stanford. Sur le campus, il semble que trop d'étudiants ne soient pas armés pour faire face à des opinions qui remettent en question les leurs, explique Edward Hall, professeur de philosophie.

Source : The Economist



jeudi 31 juillet 2025

Émission de CO2 par pays

Asie en pleine industrialisation, Occident en déclin économique relatif.




Tout nouvel immigrant au Canada (ne provenant pas des États-Unis) augmente les émissions de CO2 planétaires puisqu'il en consommait nettement moins dans son pays d'origine.